Oui, je suis accro. Oui, il faudrait que je coupe le cordon.
Hélas, il y a toujours un abonné au numéro que j'ai demandé.

Sur mes factures Belgacom, à la ligne " somme total à payer ", il y a l'âge du Morotopithecus bishopi (20 millions d'années). Ou le salaire mensuel de Bill Clinton (95.000F). Ou à tout le moins la vitesse de propagation du son dans l'acier (5.000 m/s). Vérification faite, non, il s'agit bien du montant de mes communications.
En moyenne, les Belges passent 500 appels par an. Moi c'est 400 par mois. Eux restent 8 minutes par jour. Moi, 6 heures. D'où des virements bancaires propres à éponger la dette extérieure de la Bolivie.

Le téléphone, c'est mon vice..
Le jour où j'ai hurlé " allo " au son de la minuterie du micro-ondes, j'ai compris tout le sens de l'adjectif " pavlovien ".
Quoi qu'il arrive, je me rue sur le combiné dès la première sonnerie.
Le matin, ça donne : "aïau ? Blonchour. I, cha va et wa ? " en langage ultrabrite. Tandis que je gargouille, les habitués monologuent placidement.

Je pourrais, il est vrai, laisser mon répondeur pendant mes activités subaquatiques. Certes. Sauf qu'il existe des répondeurohobes. Qui raccrochent au nez de la machine.
Je consacre le reste de la journée à cuisiner tous les phobiques de ma connaissance : " c'est toi qui a appelé ? " et à envisager des choses effroyables. Le SOS d'un proche frappé d'une mycose foudroyante. Un PDG brûlant de m'embaucher, là, tout de suite, à 9h32, pas après c'est inhumain.

C'est pour ça que la maison est désormais équipé d'un sans fil. Je l'emporte partout.
Dans la baignoire, au-dessus de mon assiette, dans le réduit des poubelles, sous ma couette. Où je l'oublie.
Je ne connais rien de plus exaspérant qu'un bip bip fantôme. L'oreille en sonar, je désintègre ma salle de bain, j'explose les placards et j'atomise le lit.
Remarquez, quand il ne sonne pas c'est pire. Tout l'appartement y passe, au rythme de " où est ce satané bidule ? j'ai un coup de fil à donner, sapristi ". Car il sert aussi à ça : appeler mes 5 fidèles quotidiens, mes copains bi-hebdomadaires, pizza pronto, mon boulot, l'horloge parlante, le garage, et SOS-torticolis (si si ça existe).

Des gens me disent " tu passes ta vie au téléphone ".
Oui, dans la mesure du possible où j'arrive à la vivre. Parce que terminer un rapport tout en synchronisant un weekend pour huit (ex : Nathalie :" je viens s'il y a de la place dans la voiture d'Elena " Moi :"bon, je rappelle Elena "…. etc pendant une heure) réclame de la virtuosité. Faire n'importe quoi d'autre aussi, d'ailleurs.

Mais ça c'est l'idyllique. Car il suffit que mon banquier, ma famille ou mon boss remarquent le désaccord dans nos relations pour que 380 décibels vociférants me vrillent le tympan jusqu'à l'hémisphère droit.
Dans ce cas-là, je hais le combiné. Et je pars dans le vaste monde m'oxygéner les oreilles. Sans laisser le répondeur, histoire de marquer ma désapprobation. Une fois même, j'ai débranché. Le lendemain, les pompiers ont attaqué ma porte à la hache. Ils ont été déçus. J'avais l'air hagard mais en vie. Ils ont pu rassurer mes amis.

Aujourd'hui, j'essaie de réduire. Mais, si je cesse de prendre le deuxième appel, mes glandes sudoripares s'emballent. Si j'attends la troisième sonnerie, mon coeur s'affole. Quand même, j'ai réussi à me restreindre à 10 appels par jour. J'ai pris 10 kilos. Mais j'ai le numéro vert des weight watchers….