Vite dépéchez-vous, on n'a pas beaucoup de temps.
Ma mère me poussa hors de la maison et attrapa ma petite soeur, Vy. Celle-ci posa ses grands yeux sur moi et me demanda :

- Dis, où est-ce qu'on va ?

- Chez grand-père. - Je peux amener Tito ?

- Oui, va vite le chercher.

Quelques secondes plus tard, elle ressortit tenant dans ses bras un adorable petit chiot. Malgré la présence de son chien, une grande inquiétude subsistait dans son regard.
C'était compréhensible, elle n'avait que 4 ans et partir si brutalement l'effrayait un peu.

- T'es sûr qu'on va chez grand-père? Ce n'est pas le chemin qu'on prend d'habitude.

- Mais oui ! C'est un raccourci.

Cela me faisait de la peine de lui mentir mais... si elle avait su ce qui l'attendait! Je n'osais même pas imaginer sa réaction.
Ma mère, Vy et moi attendions dans le noir depuis une bonne minute quand un semblant de voiture s'arrêta. On s'engouffra tous dedans et elle partit sur des chemins caillouteux.
C'était le 6 Juillet 1975.

Je me rappelais mon départ avec tristesse, tous nos biens, nos amis, là-bas, loin, ... Et moi, sous ce soleil de plomb qui frappait ma tête et me déshydratait le corps, comment décrire l'horreur, les supplices de ce départ ?
Après la longue route dans cette caisse qui nous servait de véhicule, nous étions arrivés à une petite pirogue.
Quelle ne fût pas ma surprise, en constatant que nous ne serions pas les seuls passagers ! En effet 48 autres personnes devaient nous accompagner. Nous tenions à peine dedans, serrés les uns contre les autres.
Mon père dirigeait les opérations, l'embarcation devait atteindre l'embouchure du fleuve au crépuscule pour éviter les nombreuses patrouilles qui longeaient la côte.

Ce fût la nuit la plus angoissante de ma vie, se terrer au fond de ce bout de bois, osant à peine respirer, à peine vivre...

Les rayons de soleil se posaient sur mon visage comme une main apaisante, j'aurais voulu ne jamais ouvrir les yeux pour ne pas quitter cette chaleur bienfaisante qui envahissait mon corps, mon esprit, mon âme,...

- Eh ! Niki, tu dors ?

Cette voix me sortit de mes rêveries, j'ouvris les yeux et découvris le jeune visage de ma soeur que j'adorais, c'était je crois la personne que j'aimais le plus au monde.
Vy avait une façon de parler que j'admirais, tout en elle reflétait l'innocence et la pureté.

- Pourquoi tu m'as menti ? Si on allait pas chez grand-père, tu pouvais me le dire...

Je n'osais pas répondre, ne sachant que lui raconter. Voyant ma gêne, elle vint près de moi et me dit tout bas :

- C'est pas grave tout compte fait où on va. Mais on restera toujours ensemble, promis ?

- Oui je te le jure.

La journée était déjà fort avancée quand je me décidai à me lever, ou plutôt à m'asseoir car dans cette barque, écrasés comme on l'était le moindre geste relevait de l'exploit.
J'observais en silence la mer, aucun frémissement ne perturber ce gigantesque miroir sur lequel on glissait.
Mon ventre commençait à crier famine, mais il fallait laisser les rations d'abord aux femmes et aux enfants. On me considérait comme assez fort pour résister, ma part de nourriture fût sacrifiée aux plus nécessiteux.
D'un côté l'idée d'être presque un homme me rendait fier, mais qu'est-ce que j'avais faim !

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